Jacques Languirand
Blog,  Jacques Languirand,  Par 4 chemins,  Radio-Canada

Jacques Languirand : Antennes sur le plafond des solitaires

Je suis à lire sa biographie. J’ai longtemps hésité, par peur de le regretter. En vieillissant, j’ai appris que les biographies c’est comme ces femmes qu’on désire et dont il aurait mieux valut ne jamais écarter les couvertures.

J’ai longtemps eu peur de la solitude, du silence et du noir. Le dernier de 3 enfants est toujours le premier à les affronter chaque soir. Ça fait ouvrir pas mal de couvertures en vieillissant. Le dépit et la peur amènent rarement des choix sains pour soi, et nous font d’ailleurs pas plus souvent des choix sains pour les autres. Mais je m’égare… et vous me suivez. C’est pour ça que j’aime autant vous écrire.

Pour chasser ces trois peurs j’avais la permission de laisser allumée la lumière de l’escalier . J’avais aussi la présence de la famille à l’étage et finalement, mon kit Radio-Shack, avec des springs et des fils, et une écouteur à me planter dans l’oreille. C’était ma radio. C’était mon accès pour percer les murailles de Chine de notre sous-sol. Ma résistance. Le monde intime, chaleureux et berçant se manifestait dans mon oreille quand on me demandait d’aller au lit.

J’y ai connu CKAC et Radio-Canada. Je suis entré en relation intime avec la radio. Avec des gens, là dans mon maintenant, dont le métier était ma garantie d’avoir quelqu’un, quelque part, dont le tâche était de s’adresser à moi, aux autres qui comme moi avaient peur de la nuit et étaient redevables à ces gens qui veillaient le temps que nous nous endormions, rassurés d’eux.

* * *

J’ai toujours apprécié l’intimité si particulière, non pas seulement au médium, mais plus particulièrement à l’art qu’ont une poignée d’animateurs que j’apprécie de la rendre aussi ouatée. Languirand en était. Quand il s’est retiré parce que l’Alzheimer, je me suis retrouvé comme plusieurs orphelin de ces grands moments en tête à tête sur ces 4 chemins. Je lui dois d’avoir surmonté de difficiles moments, à réécouter les archives radio-canadiennes de ses shows. Des rappels à l’art d’être en vie et de savoir demeurer résilient, puis heureux, combien mieux.

J’ai écouté la dernière entrevue qu’il a accordée à Lebiguot avec beaucoup de tristesse et de nostalgie. C’est toujours un peu moche trouver souvent à dire dans mon temps, c’est pourtant là particulièrement qu’il s’inscrit, dans ce temps qui ne reviendra plus. Avec son départ des ondes se tournent le plus long chapitre continu de l’histoire de la radio. C’est probablement aussi l’histoire de l’une des relations les plus significatives, toute en proximité, entre un « animateur » et son auditoire. Animateur, réanimateur. Un jour, si ce n’est pas déjà dans le maintenant, il ne se souviendra plus des raisons qui font qu’on le regarde avec autant de tendresse. C’est toute la bêtise de l’alzheimer.

Je dois beaucoup à la radio publique. C’est une dette qu’on se partage financièrement en groupe, heureusement. On se partage une autre dette, celle-là infiniment plus affective, et ceux qui s’en sentent volontairement responsables se reconnaissent, entre eux. Ils ont certaines caractéristiques communes. Leurs ondes se rejoignent, avec les radio waves, leurs antennes sont sur le plafond de leur monde solitaire mais réceptif.

Bidouilleux techno depuis l’âge où ses frères lui donnaient juste ce qu’il faut de chocs électriques avec des kits Radio-Shack trafiqués, il s’adonne à la programmation dès l’âge de 9 ans. Humaniste, bouddhiste et geek non pratiquant, religieux du logiciel libre et du télétravail, allergique aux paravents, il a le drôle d’idéal de faire tout ce qu’il peut gratuitement, ce qui occasionnera une certaine forme de pauvreté, mais pas du tout en curiosité. Sa phrase préférée : « Ça doit pouvoir se faire ! » On doit souvent lui indiquer où ne pas aller sur un serveur et lui rappeler ce qu’il fait de mieux, lire des magazines, des bouquins de philosophie, de géopolitique et de vieux classiques.

Laisser un commentaire Annuler la réponse.