
D’itinérance, de portique et de mes valeurs
Je suis pas tellement courageux. J’ai beau avoir quelques valeurs que j’aime à dire qu’elles m’animent, les mettre en avant est une autre paire de manches. Tiens prenez pour exemple, j’habite une coopérative. C’est le mieux que je peux faire pour concilier ma répugnance à la propriété privée, mon besoin d’implication dans une communauté et évidemment mon budget locatif.
Tout ça pour vous raconter qu’il y a un portique chauffé dans l’immeuble, accessible sans clé. Vous comprendrez qu’avec l’hiver qui approche, c’est un lieu idéal pour passer la nuit quand on se trouve en situation d’itinérance. Ce matin en a été la démonstration. Quand je suis sorti pour fumer ma clope matinale, un itinérant que je connais très bien avait élu domicile pour la nuit. Avec tout le bagage, avec toute l’atmosphère aussi, avec les images, le son, l’odeur.
Il y aurait tout un tas de trucs que je pourrais raconter ici pour vous permettre de comprendre ma compassion et mon empathie envers ceux qui n’ont ni toit, ni racine bien à eux-elles. J’ai toujours apprécié les nuances, particulièrement dans le monde de l’opinion et j’ai une aversion pour celles qui sont émises sans une préalable réflexion sur le sujet.
En itinérance j’ai tenté de réfléchir, de le faire comme il se doit. De le faire en prenant le temps de discuter avec les gens. Ici on achète la revue l’Itinéraire plus que tout autre magazine. On le lit aussi, en profondeur. Puisqu’on fait nos courses à pied et dans Hochelaga, on s’informe sur la santé et le moral des personnes en situation d’itinérance, on prend le temps de leur parler, comme à des amis-es, parce qu’ils en sont. Parce qu’on s’inquiète et on s’en préoccupe, comme le fait mon ami Clayton d’ailleurs quand il se met en quête sur les réseaux sociaux de trouver des bottes d’hiver pour l’un d’eux-elles. Comme on le fait un peu tous quand on achète un sandwich, une bière, un café pour les sans-abri.
Mes valeurs doivent-elles avoir préséance sur plus que moi ?
Y’a des trucs qui ont été fondateurs dans ma vie, des phrases, des citations, des propos. Plus que tout, la pensée de Rousseau sur l’erreur humaine. J’aime à la résumer comme suit :
La plus grande erreur de l’humanité a été celui qui a dit : ceci est à moi. La deuxième a été de le croire.
En clair, on se comporte bien plus qu’en colonisateur-trice dans tout un tas de domaines de notre vie. C’est en détenteurs-trices de territoire qu’on se comporte bien souvent. Mon Montréal, mon Hochelaga, Ma Coop, Mon portique, Ma rue. C’est particulièrement sur ce front que l’itinérance vient remettre de l’ordre, sur la question centrale de la propriété, du principe injuste et violent qu’est le claim. Le droit sale du plus riche à réclamer, puis clamer sa propriété d’exploiter le territoire et par conséquence l’autre.
J’aurais souhaité ce matin être entendu par mon ami itinérant qui dormait dans le portique. Qu’il comprenne que ça me compliquait la vie quand il ne partait pas au petit matin avant que mes voisins-ines coopérants-es se réveillent et le voient là. Qu’ils se mettent à en faire un plat à la prochaine réunion, à demander l’achat d’une serrure pour bloquer l’accès. J’aurais en clair aimé qu’il accepte MON compromis pour éviter tout un tas de problèmes auxquels je veux pas me confronter.
De quel droit je peux lui dire, comme le nomme si bien Rousseau, que ceci, ce portique, est à nous. De quel droit je peux espérer qu’il me croit. Qu’il roule ses bagages et qu’il se pousse avant que tous se réveillent et le voient là, en sons et en odeurs. Puis je lis Epitecte sur le bol de toilette, et je sais bien ce qu’il me dit le philosophe sur la connerie des odeurs qui me dérangent. Je lis aussi, parce que sur ma table de chevet, le numéro spécial de la revue Le Point sur l’utopie. C’est que j’en suis un utopiste parfois, souvent dans ma tête, si peu dans mes gestes.
Je voudrais qu’on se trouve une façon de cohabiter ensemble, toi dans le portique, moi dans MA coop, je voudrais qu’on se trouve une façon d’avoir tous chaud, moins froid en-dedans, je voudrais que mes voisins t’aiment assez aussi, comme humain, pour avoir envie de trouver un moyen de te garder ici la nuit au lieu de vouloir acheter un verrou pour qu’il ne te reste que le balcon et les marches, cet hiver. C’est ça mon utopie, celle de penser qu’on peut réinventer une façon d’avoir tous droit à la chaleur, alors que le maudit hiver approche, au coeur comme sur la peau.