
Quand tu dis qu’on chie dans l’eau potable
J’ai rien eu à faire pour naître ici en Amérique du Nord. C’est arrivé comme un truc qu’on voit pas venir, on se réveille d’un coup, on se trouve quelque part, dans notre cas au Canada, dans un des pays les mieux favorisés, à tout un tas d’égards.
Rien à faire je vous le jure. Mes parents s’y trouvaient, les parents de mes parents, puis ça remonte à plus haut, un vrai vertige de chanceuses et chanceux. Tout ce beau monde du bon côté du monde. Quand je vous dis la chance.
Le cul dans ce beau confort, on s’est mis à se dire qu’on était chez-nous. Un petit chez-nous mais à nous. Dans une maison emprunté, sur un terrain approprié, dans une province volée, dans un pays gagné par la violence, par la tromperie, par la conquête, l’assimilation, le génocide culturel de ses premiers habitants.
À plus grande échelle on appartient au Dominion, on est frères de colonisateurs, bons catholiques, esclavagistes sans se l’avouer par nos achats de marques pas chères que nos bons nègres nous concoctent à des salaires pour crever dans des conditions de travail de torture et de mépris.
C’est Rousseau en 1856 dans son Discours sur l’origine des inégalités qui s’exprime en ces termes :
Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. Mais il y a grande apparence, qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient ; car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain.
Nous on est beaux, on a l’air propre, on a les dents blanches, le panier bio, le pétrole trans-montagne, et un territoire. Un territoire qu’on a rien fait pour habiter. Un truc gagné de naissance, la loterie utérine, le gratteux du placenta chancheux, reste plus qu’à dire qu’il est à nous.
Alors on a créé l’autre, celui qui quand il met les pieds dans ce chez-nous est un étranger. Celui qui peut venir faire son tour, mais qui ferait bien de savoir quand partir. On a choisi que c’est pas de notre faute s’il est né dans un continent de souffrance. L’avait juste à savoir naître ! On a pas tous la même boussole.
L’autre il est bien dans son usine de misère pour faire mon t-shirt. Il est bien pour me chausser à rabais, il est bien pour faire ce qu’il fait de mieux : être le plus bas soumissionnaire pour que je paie ma merde chez Wal-Mart au meilleur prix.
La crise de l’immigration qu’on tente de nous faire avaler, c’est au premier chef une crise humanitaire mondiale. C’est le déséquilibre entre les peuples, les nations, les humains, qu’il est maintenant impossible de cacher aux autres êtres humains. Maintenant ils voient. Ils savent. Ils refusent d’accepter leur misère.
On ne peut se dire civilisé et refuser à l’autre d’accéder à mieux, ici, dans l’espace qu’on occupe. Aucun droit autre que les lois qu’on écrit ne peut justifier de dire à quelqu’un qu’il n’a pas le droit d’être ici. On écrit ces lois pour protéger notre confort, pour refuser de se priver pour accueillir l’autre, lui donner aussi le droit d’exister librement, d’avoir droit à mieux, à de l’eau pure, à une éducation de qualité, à un système de santé avancé, en clair à une qualité de vie.
Quand on veut des lois plus fortes en immigration, on se conduit comme Trump. On veut un mur. Notre opposition, nos craintes, notre refus d’accueillir sont des murs moraux, invisibles mais combien puants de manque d’humanité, de comportement d’enfants gâtés qui n’ont rien eu à faire pour naître au bon endroit.
Or un jour notre indifférence nous pèsera d’une façon ou d’une autre, quand ils trouveront le moyen de ne plus souffrir sans nous laisser, immobiles, profiter d’eux.
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